L'air, source inespérée d'eau potable grâce à cette invention kényane
Il n'est pas rare que plus aucune goûte ne sorte du robinet en Afrique, et même parfois pendant des jours. Ce stress hydrique augmente à mesure que la population croît. Mais avons-nous vraiment exploité toutes les sources possibles d’eau potable? L'entrepreneuse kényane Beth Koigi en a trouvé une nouvelle… en levant les yeux au ciel: son innovation futuriste transforme l’humidité de l’air en eau potable.
La plupart des réserves d’eau douce de notre planète bleue ne se trouvent pas là où on les attend. Il y aurait, sur terre, six fois plus d’eau dans l’air que dans toutes les rivières du monde. Cette estimation aux allures de légende, Beth Koigi la répète à qui veut bien l’écouter, comme pour provoquer l’étonnement. «Si vous avez de l’air, vous pouvez avoir de l’eau potable», résume souvent la Kényane de 29 ans lors des conférences ou des concours auxquels elle participe. Beth Koigi est une habituée des podiums. En France, son innovation a remporté le prix EDF Pulse Africa. En Angleterre, l’Académie royale d’ingénierie l’a placée parmi les finalistes pour l’Afrique, tandis qu’aux États-Unis, sa solution a remporté la seconde place du prix de l’innovation dans le domaine de l’eau, organisé par le prestigieux Massachusetts Institute of Technology (MIT).
La Kényane a réussi à défier les éléments en transformant de l’air en eau potable. Son appareil futuriste, baptisé Majik Water, capte l’humidité atmosphérique à l’aide de matériaux déshydratés semblables à des éponges. Des panneaux solaires viennent ensuite chauffer la matière et former de la vapeur d’eau qui, une fois condensée, est filtrée pour se muer en eau potable. Avec ses deux associées britannique et canadienne, Beth Koigi est aujourd’hui toujours plongée dans le développement de sa technologie.
Démocratiser l’accès à l’eau
«Nous sommes toutes les trois unies par le désir de démocratiser l’accès à l’eau, pour que tout le monde, à l'avenir, puisse avoir une source d’eau propre et renouvelable là où il se trouve», explique Anastasia Kaschenko, scientifique environnementale canadienne et co-fondatrice de Majik Water. Avec Beth Koigi, elles se sont rencontrées il y a quelques années, loin des steppes désertiques du Kenya: à 15’000 km de là, au cœur de la Silicon Valley. C’était à l’occasion d’un challenge organisé par Google qui réunissait des entrepreneurs du monde entier, tous engagés dans la résolution d’enjeux planétaires majeurs. Beth Koigi y a exposé pour la première fois son ambition considérée à l’époque comme un peu folle: créer de l’eau potable avec de l’air. Mais pour elle, c’était au contraire une évidence.
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Dans son pays, les coupures d’eau ont toujours été intempestives lors des grosses chaleurs. En 2016, la sécheresse fut si importante que la Kényane, alors encore étudiante, n’eut pas eu une goutte d’eau à sa disposition pendant des jours. Anastasia Kaschenko:
«Durant cette sécheresse, les gens de toutes les catégories sociales ont été touchés par la pénurie. Ceux qui pouvaient se le permettre achetaient de l’eau en bouteille pour boire. Tout le reste, c’est-à-dire l’ensemble de la consommation d’eau domestique, était réduite au minimum.»
Les plus pauvres, eux, en étaient réduits à boire de l’eau souillée, en attendant des jours meilleurs. Pour pallier les pénuries à venir, Beth Koigi s’est alors convaincue de la nécessité de trouver de nouvelles sources d'approvisionnement en eau. Des sources qui ne dépendraient pas du réseau classique de distribution, alimenté hasardeusement par les eaux de surface ou des nappes phréatiques qui s’épuisent. En faisant des recherches, la jeune femme s’est alors rendu compte que la solution était juste devant et autour d’elle: dans l’air qu’elle respirait.
Au Kenya, 10 000 personnes meurent chaque année à cause de l’eau
Aujourd’hui, Beth Koigi et ses deux associées enchaînent les expérimentations sur le terrain. Au Kenya, Majik Water a été implanté dans un centre pour enfants et dans une école en zone aride. 500 enfants ont ainsi pu avoir accès, chaque jour, à de l’eau potable. Dans ce pays d’Afrique de l’Est, l’accès à une eau propre est parfois une question de vie ou de mort: «Plus de 10 000 décès par an sont attribués à des maladies d’origines hydriques et sont dus à la consommation d’une eau sale», souligne Anastasia Kaschenko. Un enjeu que le Kenya partage avec le reste du continent. En Afrique, 70 à 80% des maladies sont imputées à une mauvaise qualité de l’eau selon l’Organisation mondiale de la Santé (OMS). L’accès à une eau potable sécurisée y demeure encore aujourd’hui un luxe: moins d’un quart des Africains en disposent.
Qu’en sera-t-il dans trente ans, quand le continent enregistrera près d’1,3 milliards d’habitants supplémentaires? Les chiffres avancés dans le dernier rapport mondial des Nations unies sur la mise en valeur des ressources en eau ne sont pas très optimistes, pour l’Afrique comme pour le reste du globe. «Plus de deux milliards de personnes vivent dans des pays soumis à un stress hydrique élevé [...] Ce stress ira en s'exacerbant à mesure que la demande en eau augmentera et que les effets du changement climatique s'intensifieront» note le rapport. Il précise:
«L’utilisation de l’eau dans le monde augmente annuellement d'environ 1% depuis les années 1980. La demande mondiale en eau devrait continuer d'augmenter à un rythme similaire jusqu'en 2050. Ainsi, plus de la moitié de la population mondiale vivra dans des régions soumises au stress hydrique d’ici cinq ans.»
Face à ces statistiques alarmantes, Beth Koigi et sa dizaine de collaborateurs préfèrent rester optimistes et chercher des solutions pour accroître les capacités de production d’eau de leur innovation. Les premiers modèles pouvaient en produire 20 litres par jour. Cette année, Majik Water passe à une nouvelle échelle. En Afrique du Sud, l’entreprise kényane expérimente actuellement pour des clients industriels deux appareils capables de produire quotidiennement 1’000 litres d’eau chacuns. De quoi assurer les besoins fondamentaux en eau propre de plus de cent personnes pendant un an, avec seulement deux machines à production d’eau issue de l'atmosphère.
Didier Kassaï est illustrateur, aquarelliste et caricaturiste autodidacte, né en 1974 en Centrafrique. Son premier album solo, L'Odyssée de Mongou, paraît en 2014 aux éditions l'Harmattan BD. L'année suivante il publie Tempête sur Bangui aux éditions La Boîte à Bulles, en deux volumes. Pour cette série sur les solutions africaines, il a créé onze illustrations originales pour Heidi.news