Le fonio, «graine de l'univers» qui pourrait révolutionner l'agriculture africaine

Dessin: Didier Kassaï pour Heidi.news

Plus que nulle part ailleurs dans le monde, le désert avance et la faim sévit en Afrique. À cheval entre les rives ouest-africaines et new-yorkaises, le chef sénégalais Pierre Thiam fonde ses espoirs dans une petite graine africaine ancestrale: le fonio. Depuis 3 ans, il en est l'ambassadeur outre-atlantique. Elle serait pour lui le début d’une véritable révolution agricole africaine.

Elle est si ancienne qu’on la surnomme la «graine de l’univers». Cultivé depuis plus de 5000 ans en Afrique, le fonio est au cœur de nombres de légendes africaines et de rites encore pratiqués aujourd’hui. Porte-bonheur pour les uns, céréale servie aux invités de marque par les autres, d’aucuns lui prêtent aussi des vertus médicinales extraordinaires.

On aurait même retrouvé cette céréale, «nourriture la royauté», dans les caveaux enfouis sous les pyramides de l’Égypte antique. Il fut un temps où le fonio était si précieux qu’il était de bon augure de l’emporter avec soi jusque dans l’au-delà.

En Afrique de l’Ouest, le fonio était semé à tout-va dans les champs et consommé par tous. Mais la belle histoire agricole de la plus africaine des graines s’arrêta avec la colonisation et l’introduction des cultures occidentales, à la fin du 19e siècle. 120 ans plus tard, la rupture identitaire est consommée. «Allez à Dakar [la capitale du Sénégal], et les Sénégalais vous diront: “le fonio est la graine des paysans, des gens du peuple. Nous, on veut manger des baguettes et des croissants”. Alors que nous ne produisons pas de blé. Nous l’importons! Encore aujourd’hui, on veut manger comme des colons», s’offusque le chef Pierre Thiam.

Un réseau de 800 cultivateurs de fonio

Le chef sénégalais, installé à New-York depuis trente ans, s’est donné pour mission de redonner au fonio ses lettres de noblesses. Son entreprise, Yolélé Foods, a fait découvrir en 2017 aux Américains la «graine de l’univers», commercialisée dans des emballages modernes qui séduisent un nombre croissant de consommateurs. Les ventes du chef, propriétaire de son restaurant à New-York, carrefour entre la cuisine ouest-africaine et contemporaine, se chiffrent à des dizaines de tonnes chaque mois. Ces milliers de kilos de fonio, Pierre Thiam les importe d’Afrique de l’Ouest. Burkina Faso, Ghana, Mali, Sénégal : le cuisinier entrepreneur a constitué en trois ans un réseau de plus de 800 cultivateurs de fonio, fournisseurs de Yolélé Foods. Pierre Thiam:

«En tant que chef à New-York, j’ai réalisé que j’avais l’opportunité d’ouvrir des marchés internationaux à ces paysans africains qui sont parmi les plus pauvres du monde, et se faisant, de faire augmenter leurs revenus.»

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Le chef est désormais devenu l’ambassadeur du fonio aux Etats-Unis. Amoureux de cette céréale qu’il a découverte étant enfant dans les plats de sa grand-mère lors de ses vacances passées chez elle en Casamance, une région du sud du Sénégal, Pierre Thiam est depuis animé par une profonde conviction: le fonio n’est pas seulement une graine, c’est un remède. Sa culture permettrait de soigner nombre des maux qui gangrènent l’Afrique aujourd’hui.

Un rempart contre la faim et la désertification

«Le fonio pousse dans les sols les plus pauvres. Il n’a pas besoin de beaucoup d’eau pour grandir. Peu importe le climat, il poussera et très vite : il peut être mature en seulement deux mois! Les paysans d’Afrique de l’Ouest savent qu’ils peuvent compter sur le fonio», explique Pierre Thiam. Dans une région frappée de plein fouet par le réchauffement climatique, où le désert avance et ronge les terres arables, le fonio apparaît comme un rempart. Aussi, Pierre Thiam s’attache-t-il à promouvoir la culture de cette céréale auprès des producteurs ouest-africain, lors de ses voyages.

À Kédougou, au sud-est du Sénégal, une coopérative de femmes productrices, réunies sous le nom de Koba Club de Kédougou, a même recentré toute son activité de transformation de produits locaux autour du fonio. Fini l'huile de palme, le jus de baobab et le batik: la «graine de l’univers» s’avère plus rentable et surtout, leur assure une sécurité alimentaire qui fait souvent défaut, en période de soudure.

Clément Jous, chargé de projet agro-écologie pour SWISSAID:

«Entre juillet et les nouvelles récoltes de septembre, beaucoup de familles ont du mal à trouver à manger, à avoir ne serait-ce qu’un repas par jour. Le fonio est une graine de soudure: c’est une des rares céréales qui se cultive pendant cette période. Développer sa culture en Afrique permettrait d'apporter une vraie solution à ce problème alimentaire récurrent.»

L'Afrique reste le continent le plus touché par la sous-nutrition. 21% des Africains y sont confrontés, soit plus de 256 millions de personnes, selon les Nations unies.

Arme contre la faim et contre la désertification, le fonio est aussi doté de qualités nutritives exceptionnelles. Au point que certains la qualifie de protéine parfaite. Source de fibres mais faible en calories, le fonio est riche en méthionine et en cystéine, deux acides aminées dont le taux fait défaut à toutes ses céréales concurrentes. Pour couronner le tout, le fonio est sans gluten. Sa place sur le marché américain de la «healthy food», en plein essor, était une évidence. Pierre Thiam a toujours le sourire aux lèvres quand il repense à la vente de son tout premier stock de fonio, dans un hall food de Harlem, il y a trois ans. «Tout est parti en trois heures et on a commencé à devenir des champions dans notre catégorie», s'enorgueillit-il.

Faire la révolution par la cuisine

Depuis, les sachets de fonio de Yolélé Foods sont distribués dans plus de 500 points de vente à travers les États-Unis. Des chaînes de restauration telles que True Kitchen proposent aussi des plats à partir de fonio. Bref, Pierre Thiam a lancé la «graine de l’univers» à la conquête de l’Amérique! «Nous avons aussi l'intention d’en vendre un peu partout en Europe. L’Union européenne a déjà donné son accord pour la vente”» affirme le patron. Mais la bataille la plus importante de sa conquête reste l’Afrique. «Dans les capitales du continent, la demande est là. Nous avons été contactés pour être distribués en Afrique. La mentalité coloniale est en train de se déconstruire. Les citadins commencent à vouloir consommer africains et non plus occidental», se réjouit-il, espérant voir bientôt son fonio distribué là où toute son histoire a commencé.

Sur les rives sénégalaises qui l’ont vu naître, Pierre Thiam est aussi en train de préparer ce qui, prévient-il avec une certaine emphase, sera «une révolution». Des Sénégalais sont en train de bâtir la toute première usine moderne de transformation du fonio, pour que la production de la «graine de l’univers» soit industrialisée directement sur le continent. La production devrait démarrer l’année prochaine. Pierre Thiam:

«Mon ambition est de contribuer à cette révolution: transformer les Africains en exportateurs plutôt qu’en importateurs et faire que les paysans africains ne soient plus considérés comme les derniers de la classe, mais au contraire comme les futurs acteurs d’un changement du système alimentaire mondial [...] Les petits agriculteurs d’Afrique, que le système agricole actuel est en train de tuer, sont l’avenir. Ce sont eux qui ont la solution pour diversifier notre régime alimentaire. Ils sont les derniers à encore respecter le rythme de la nature et des saisons. Il faut révéler leur potentiel.»

Pour lui, l'industrialisation du fonio en Afrique et son export en Occident n’est qu’une première étape vers un développement endogène du continent par ses produits alimentaires oubliés ou inconnus à l’étranger. En ligne de mire des équipes de Yolélé Foods: les graines de néré et le moringa. Deux plantes là-encore typiquement ouest-africaines, aux vertus exceptionnelles et qui restent aujourd’hui largement sous-exploitées.

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Didier Kassaï est illustrateur, aquarelliste et caricaturiste autodidacte, né en 1974 en Centrafrique. Son premier album solo, L'Odyssée de Mongou, paraît en 2014 aux éditions l'Harmattan BD. L'année suivante il publie Tempête sur Bangui aux éditions La Boîte à Bulles, en deux volumes. Pour cette série sur les solutions africaines, il a créé onze illustrations originales pour Heidi.news

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